22: Évaluation de l’attachement et du « caregiving » dans les familles avec jeunes enfants

Catherine Rabouam
Susana Tereno
Lauriane Vulliez-Coady
Ce chapitre aborde l’évaluation de l’attachement des jeunes enfants. La sécurité de l’attachement est seulement inférée de ce que l’on peut observer : les procédures d’évaluation de la qualité des attachements d’un bébé à ses parents observent les comportements interactifs. Puis nous aborderons l’évaluation du « caregiving » : différentes procédures analysent la manière dont les comportements et représentations des parents influencent l’attachement de l’enfant et, de façon plus générale, son développement émotionnel.

Évaluation de l’attachement chez le très jeune enfant

La situation étrange (SSP) [1]

Mary Ainsworth et ses collègues ont traduit les efforts d’évaluation de la sécurité de l’attachement à travers l’élaboration d’une procédure d’évaluation expérimentale, la situation étrange. À partir de ses observations en Ouganda puis à Baltimore et de sa connaissance des travaux d’une psychologue, Jean Arsenian, elle a imaginé cette procédure pour décrire la capacité de l’enfant à utiliser sa figure d’attachement comme base de sécurité [1, 2]. Considérée au départ comme une épreuve standardisée pour explorer les modalités normales de l’interaction mère-enfant, la SSP s’est révélée utile dans l’investigation des différences individuelles. Véritable paradigme, elle est la procédure la plus utilisée pour évaluer la qualité des attachements d’un enfant aux personnes qui s’occupent de lui.
La SSP a été mise au point pour des enfants de 12 et 18 mois, observés avec leur figure d’attachement en laboratoire. On note les réactions de l’enfant durant huit épisodes de trois minutes impliquant des séparations et des retrouvailles entre la mère et lui, ainsi que l’introduction d’une personne non familière pour lui :
  • après une brève introduction, on laisse le bébé seul avec sa mère ;
  • puis la personne inconnue de l’enfant entre dans la pièce, commence à parler avec la mère, puis tente d’interagir avec l’enfant ;
  • ensuite, la mère quitte la pièce, laissant le bébé seul avec la personne étrangère ;
  • puis elle revient (l’étrangère s’éclipse) ;
  • la mère part à nouveau ;
  • puis l’étrangère revient seule ;
  • enfin, la mère revient (l’étrangère s’en va).
La situation est observée derrière un miroir sans tain et enregistrée en vidéo. L’observateur peut voir la manière dont l’enfant, en expérimentant le stress progressif engendré par les différentes phases de la procédure qui activent son système d’attachement, organise son comportement envers sa mère et reprend ou pas son jeu (exploration). L’enfant agit selon ce qu’il s’attend à recevoir ou pas de la part de sa figure d’attachement.
La cotation s’organise autour de quatre échelles dites « interactives » :
  • la recherche de proximité (proximity seeking) ;
  • le maintien du contact (contact maintaining) ;
  • la résistance au contact (contact resistance) ;
  • l’évitement de la proximité (proximity avoidance).
Les variables contribuant le plus à la discrimination des différents patterns d’attachement sont la recherche de proximité, l’évitement et la résistance à la mère lors des épisodes de réunion, plutôt que les pleurs de l’enfant à la séparation.
Pour chacune des deux réunions, on attribue une note (de 1 à 7) sur les quatre échelles. Puis en fonction du poids de chacune des notes et de leur évolution entre la première et la deuxième réunion, on décide de la classification de la relation d’attachement observée.
Trois groupes d’enfants ont été différenciés selon leur comportement durant les deux épisodes de réunion avec la mère :
  • les enfants attachés de manière sécure ont tendance à protester lors des séparations, surtout lors de la seconde (la plus stressante), et à accueillir leur mère lors de son retour avec plaisir (sourire, vocalisation ou geste) ou en recherchant la proximité avec elle et, enfin, à retourner jouer après avoir été réconfortés (groupe B) ;
  • l’attachement insécure peut prendre deux formes :
    • certains enfants ont peu de manifestations affectives ou de comportements de base de sécurité ; ils paraissent peu affectés par la séparation, tendent à éviter la proximité et le contact avec la mère lors des retrouvailles, et focalisent leur attention sur les jouets plutôt que sur leur mère, dont ils savent qu’elle ne leur donnera pas de réconfort dans ce type de situation. S’ils sont stressés par la séparation, ils peuvent accepter d’être réconfortés par l’étrangère : ils ont un attachement évitant (groupe A) ;
    • d’autres montrent de la détresse à la séparation, avec un mélange de recherche de contact et de rejet coléreux de leur mère, et des difficultés à être réconfortés : ils ont un attachement ambivalent/résistant (groupe C).
La distribution des trois patterns est la suivante : 65 % d’enfants sécures, 21 % d’insécures évitants et 14 % d’insécures ambivalents. Huit sous-groupes ont ensuite été distingués, qui constituent un continuum sur un axe sécure/insécure.
Plus récemment, a été introduite une catégorie d’enfants dont l’attachement est désorganisé/désorienté (groupe D) [3] et qui sont décrits dans le chapitre 10. Fraley et Spieker [4] ont récemment posé la question d’une révision de la méthode de codage de la situation étrange dans un sens plus dimensionnel que catégoriel, selon deux axes : stratégies de recherche de proximité versus évitement d’une part, stratégies coléreuse et résistante d’autre part.
L’application de la situation étrange requiert une formation approfondie et un entraînement sur un grand nombre de situations pour obtenir une fiabilité suffisante.
Ses qualités psychométriques sont bien connues actuellement. La stabilité à court terme (12 à 18 mois) de la classification en catégories est bonne quand les évaluations ne sont pas trop rapprochées (minimum : deux à six mois) pour éviter une sensibilisation à la procédure [5]. La stabilité à long terme est très bonne entre 12 mois et 5 ans [6], à condition qu’il n’y ait pas d’événement de vie modifiant l’attachement, moins bonne ensuite, mais elle reste très acceptable quand on ne considère que la dimension sécure versus insécure. La stabilité de la classification suppose qu’il n’y ait pas d’événements de vie venant la contrarier : les deuils, les séparations, les traumatismes, les maladies graves, etc. ont un impact sur l’attachement, qui peut d’autant plus modifier le pattern d’attachement que l’enfant est plus jeune et qu’il bénéficie moins de l’intervention de facteurs protecteurs.
La fiabilité et la validité prédictive de l’épreuve sont bien établies dans les populations occidentales [5]. Elle a été utilisée dans de nombreuses cultures et dans des contextes très variés. La SSP est la première épreuve permettant de tester non pas des traits individuels mais les caractéristiques d’une relation : les comportements observés témoignent des stratégies d’attachement élaborées par l’enfant avec ses parents depuis au moins un an. L’utilité de la situation étrange en recherche s’est confirmée dans plusieurs domaines : la cohérence avec le comportement de l’enfant à la maison pour les enfants attachés de manière sécure ; la stabilité de la classification dans le temps ; sa capacité à refléter la qualité dynamique de l’interaction mère-enfant. La SSP a montré son intérêt pour prédire les compétences du bébé dans des études liant la qualité de l’attachement à 12 mois et le fonctionnement émotionnel et social de l’enfant avant 6 ans, en ce qui concerne la tolérance aux frustrations, la coopération et le fonctionnement cognitif.
La SSP est utilisée comme élément d’évaluation pour le travail clinique (choix de l’intervention, évaluation de l’efficacité de l’intervention) et comme base d’observation et de travail avec les parents dans un certain nombre de programmes thérapeutiques (chapitre 13, tome 2) La situation étrange met en valeur le système de comportements d’attachement de l’enfant en situation de stress et d’anxiété, en fonction de ce qu’il peut attendre de protection de la part de ses parents.

Épreuves dérivées de la SSP (au-delà de 18 mois)

Il existe deux versions modifiées de la procédure de la SSP pour tenir compte des acquis du développement de l’enfant, en particulier de l’avènement du langage et des capacités d’autorégulation de l’enfant. Les critères de classification ont été révisés (cf. chapitre 23).

« Interesting-but-scary paradigm » (IbS « paradigm ») [7]

En s’inspirant de la SSP, Forbes et al. [7] ont développé pour l’enfant à partir de 2 ans une situation d’observation évaluant l’équilibre exploration/attachement de l’enfant, en tenant compte de sa capacité croissante à explorer et en fournissant une situation plus appropriée à l’âge de l’enfant que la SSP. L’IbS consiste en une réunion après une séparation de dix minutes entre l’enfant et sa mère, avec une période de cinq minutes de jeu libre avec des jouets, suivie de l’introduction, durant trois minutes, d’un jouet potentiellement intéressant mais inquiétant (un jouet-araignée commandé à distance). On observe l’équilibre entre les systèmes d’exploration et de recherche de proximité, et comment l’enfant utilise la relation avec sa mère pour faire face au stress et explorer l’environnement de manière confiante. Le système de codage est inspiré de celui de la SSP, avec une reprise de la classification en groupes et sous-groupes.

Autres outils d’évaluation des attachements du jeune enfant

« Disturbances of Attachment Interview » (DAI) [8]

Les auteurs ont développé une interview semi-structurée administrable aux « caregivers » à propos de l’enfant. Il est composé de 12 items (avoir un adulte préféré, rechercher le réconfort en cas de détresse, répondre au réconfort proposé, entrer en réciprocité sociale et émotionnelle, régulation émotionnelle, retour vers le « caregiver » après exploration, réticence envers les adultes non familiers, désir de s’éloigner d’adultes étrangers, mise en danger, agrippement excessif, vigilance/hypercompliance, inversion des rôles). L’objectif de ce questionnaire est de chercher un trouble réactionnel de l’attachement mais aussi d’autres catégories de troubles de l’attachement décrites par Zeanah.

« Preschool Assessment of Attachment » (PAA) [9]

Les critères retenus par le PAA (administrable entre 18 mois et 5 ans) (cf. chapitre 23) incluent : la régulation des états émotionnels, la négociation parent-enfant, la capacité à répondre (responsivity) de la figure d’attachement, l’effet sur l’observateur. Ces travaux donnent lieu à la description de groupes et de sous-groupes qui intègrent au système une perspective développementale.

« Modified Crowell Procedure » [10]

Crowell et Feldman [10] ont construit cet outil pour évaluer l’interaction parent-enfant entre 1 et 5 ans. Le parent doit jouer librement avec son enfant comme à la maison, suit l’enfant qui conduit le jeu, demande à l’enfant de ranger, joue avec des bulles de savon, fait des puzzles et des tâches de résolution de problèmes, et se sépare brièvement de son enfant. On identifie les forces et les vulnérabilités de la relation. Le focus est la résolution de problèmes, le jeu, le plaisir partagé et une évaluation informelle de l’attachement. On regarde la persistance de l’enfant, son attention, comment il utilise le parent comme soutien, comment il peut demander de l’aide, ses compétences motrices globales et fines, le degré de plaisir dans l’interaction. On observe particulièrement comment l’enfant utilise son parent lors des transitions entre les tâches, qui sont considérées comme des stress légers pour l’enfant, comme la séparation/réunion.

« Massie-Campbell Mother-Infant Attachment Indicators During Stress Scale » ou « Attachment During Stress » (ADS) [11]

Cette épreuve s’appuie aussi sur l’observation standardisée des comportements d’attachement dans un contexte de stress léger à modéré (habillage, bain, jeu, repas en famille, examen médical) et épisodes de réunion de la SSP. Elle est composée de deux échelles, qui mesurent les comportements d’attachement de l’enfant (comme les regards, les vocalisations, les contacts, l’affect, la proximité) et les réponses du parent pendant les situations stressantes. Les comportements typiques de l’attachement sont notés sur une échelle de 1 à 5, de l’évitement à l’ambivalence. On peut ainsi utiliser les indicateurs d’attachement comme des guides pour juger de l’adéquation de l’interaction : si 50 % des scores sont de 1 ou 2, le comportement d’attachement sera classé évitant ; si 50 % des scores sont de 3 ou 4, sécure ; si 50 % de 5, ambivalent résistant. L’ADS est utilisable entre la naissance et 18 mois et dans des situations banales telles que l’examen pédiatrique ou à partir d’un film comportant des interactions. La formation à cet outil est autoguidée et le manuel disponible sur Internet. D’après des études récentes (relatées dans [12]), cet outil est jugé utile pour faire la distinction entre dyades attachées de façon sécure ou pas, mais elle n’identifie pas bien l’attachement ambivalent résistant.

Évaluation spécifique de l’attachement au père

La sensibilité du père passe par sa capacité à soutenir l’exploration et à aider l’enfant à faire face aux émotions négatives liées à l’exploration (cf. chapitre 10). La SSP a été construite pour évaluer l’attachement à la mère et elle est réservée aux enfants en dessous de 20 mois ; elle n’est pas focalisée sur l’exploration mais sur la recherche de proximité avec la mère aux retrouvailles, la mise en veilleuse du système d’attachement permettant le retour à l’exploration. D’autres outils sont donc proposés.

« Sensitive and Challenging Interactive Play Scale » (SCIP) [13, 14]

Il s’agit d’une observation du jeu des jeunes enfants avec chacun des parents, qui évalue la manière dont les parents soutiennent ou non l’exploration de l’enfant. Elle consiste en une situation de jeu interactif entre le père et son enfant de 2 ans. Cet outil évalue le support émotionnel, les encouragements, l’attention, l’affect positif, l’absence d’intrusion, les éloges, les instructions et la mise au défi adaptée à l’âge, de la part du père envers son enfant au cours du jeu. Ces qualités de l’interaction peuvent contribuer à réguler les émotions positives et négatives de l’enfant pendant le jeu et à maintenir son attention sur la tâche.

« Risky Situation Procedure » [15, 16]

Toujours dans le but tenir compte des spécificités de l’attachement au père, Paquette a élaboré cette observation (pendant 20 minutes) de la relation père-enfant dans un cadre inhabituel avec des jouets et une petite échelle, en présence d’un étranger. Elle comprend six épisodes pendant lesquelles l’enfant fait face d’abord à un « risque social » (étranger de plus en plus intrusif) puis à un risque physique (l’échelle interdite par le père). On regarde l’équilibre entre l’exploration de l’environnement et l’acceptation des limites imposées par le père. Le codage s’organise autour de cinq critères : indicateurs de retrait ou d’hypersociabilité avec l’étranger, prise d’initiatives avec l’étranger, utilisation spontanée de l’échelle, prudence, obéissance aux limites imposées par le père. Les comportements relationnels des enfants sont classifiés selon trois types : sous-activé, activé, suractivé. Un enfant qui présente un pattern activé apparaît confiant, autonome dans son exploration et respectueux des limites. Deux procédures ont été validées, l’une pour les 12-18 mois, l’autre pour les 2-5 ans. Elles sont utilisables tant en recherche qu’en clinique. L’évaluation des qualités psychométriques de cet outil récent est encore à développer.

« Attachment Q-Sort » (AQS) [17]

Waters et Deane [17] ont voulu élaborer une procédure plus écologique que la SSP et qui puisse s’appliquer à un éventail d’âges plus étendu tout en garantissant une certaine objectivité : le Q-Sort sur l’attachement (AQS) permet d’évaluer la qualité des comportements de base sécure et de havre de sécurité chez l’enfant entre 10 mois et 5 ans à la maison ; il est considéré comme l’un des trois gold standard de la mesure de l’attachement avec la SSP et l’AAI [18]. Une version française (traduction, adaptation et étude de validation) a été élaborée par Pierrehumbert et al. [19]. Cet instrument consiste à relever, lors d’une période d’observation à la maison, les caractéristiques les plus saillantes du comportement relationnel de l’enfant avec son parent parmi un ensemble d’items proposés. Plusieurs heures d’observation de l’enfant avec ses parents à la maison sont nécessaires pour coter correctement l’AQS. Les auteurs recommandent fortement la présence de deux observateurs car on ne filme pas.
On demande à la mère ou au père de faire ce qu’ils font habituellement avec leur enfant au moment de l’observation. Mais il est possible aussi de provoquer quelques événements, afin de favoriser la survenue des comportements de base sécure dans ce temps assez réduit. On peut apporter des jeux inhabituels pour susciter des demandes d’aide de l’enfant au parent ; faire remplir un questionnaire au parent pour observer le comportement de l’enfant en cas de baisse de l’attention à son égard, etc. En cas de non-observation de certaines situations (le coucher, par exemple), on peut interroger les parents.
L’analyse du Q-Sort renvoie à « l’analyse Q » (terme de statistiques) qui a été adaptée aux sciences sociales [20]. Elle consiste à comparer un sujet avec un « idéal ». On trie (sort) les items en fonction de leur plus ou moins grande pertinence pour l’enfant observé. Le Q-Set (le matériel) consiste actuellement en 90 items (inscrits sur autant de cartes), dont certains reflètent les différentes dimensions du phénomène de base sécure et des comportements associés (tels qu’ils ont été définis par Bowlby et Ainsworth) chez les enfants de 10 mois à 5 ans ; les autres items s’intéressent à la sociabilité, la dépendance, le tempérament, etc. Les items les plus caractéristiques du comportement de l’enfant sont placés à la fin de la distribution et cotés 7, 8 ou 9, et les moins caractéristiques au début (cotés 3, 2 ou 1). La position de chaque item détermine donc son score. Le comportement de l’enfant est décrit en un tableau de 90 scores. On peut calculer des scores spécifiques de l’enfant comme un Child Security Score. Si plusieurs évaluateurs ont observé l’enfant, on calcule des moyennes entre leurs cotations ou on fait une réunion de consensus. La distribution obtenue pour l’enfant observé est comparée à des distributions « prototypes », construites par un groupe d’experts de la théorie de l’attachement et qui décrivent des enfants théoriquement sécures ou insécures aux différents âges envisagés. Une comparaison entre le Q-Sort de l’enfant et ces différents prototypes donne un coefficient de corrélation qui reflète le degré de concordance avec un sujet sécure, par exemple. Il existe des scores prototypes pour la sécurité, la dépendance, la sociabilité.
Il est nécessaire de bien connaître les items et de s’entraîner à l’observation pour avoir une chance de relever les comportements pertinents.
Les qualités psychométriques du Q-Sort sont bien connues [5]. Si la stabilité à court terme représente une faiblesse manifeste du Q-Sort, celle à long terme (entre 1 et 3 ans) est jugée moyenne en sachant que les changements importants dans la vie de l’enfant ont un impact sur ses modèles d’attachement. La sécurité à l’AQS est associée à des interactions plus positives et de meilleure qualité avec les pairs et à une moindre fréquence de difficultés au niveau du comportement.
L’AQS représente un apport majeur aux études interculturelles sur l’attachement. On peut discriminer la sécurité de l’attachement de la notion de dépendance ou de celle de désirabilité sociale, tout en mesurant l’effet puissant des facteurs écologiques sur les patterns comportementaux de base sûre chez les jeunes enfants.
Une méta-analyse de Van IJzendoorn et al. [18] montre la validité de l’Attachment Q-Sort pour évaluer la sécurité de l’attachement, à condition qu’il soit appliqué par deux observateurs et non par les parents, et que l’observation soit suffisamment longue (plus de trois heures) pour avoir des chances de relever des comportements en rapport avec l’attachement. Si les parents sont supervisés et si les professionnels ont suffisamment d’opportunités d’observer les comportements spécifiques, la corrélation entre les cotations des parents et celles des professionnels devient meilleure [5]. Selon Van IJzendoorn et al. [18], la validité prédictive de l’AQS serait intéressante, ainsi que la corrélation avec la sensibilité maternelle. Enfin, la méthode du Q-Sort a fourni un moyen d’évaluer la validité de la situation étrange dans différents contextes et différentes cultures. Cependant, la question des variations culturelles concernant l’expression comportementale de l’attachement et celle de la validité des distributions « prototypes », les expressions comportementales d’attachement, restent ouvertes [5].
L’AQS peut être utilisé avec des populations normales et cliniques, en recherche comme en clinique. Il peut être appliqué plusieurs fois. Mais il est très coûteux en temps.
Cette méthode présente l’avantage d’évaluer la sécurité sur une échelle continue (contrairement aux catégories de la SSP) mais les différences entre les groupes A et C n’y apparaissent pas clairement et l’AQS n’est pas valide pour évaluer l’attachement désorganisé. Les corrélations entre AQS et SSP sont modérées : les deux méthodes ne mesurent pas tout à fait les mêmes dimensions de la sécurité de l’attachement. Le manque de convergence entre les résultats de la SSP et ceux de l’AQS pourrait être imputé, selon Solomon et George [5], au fait que l’observation à la maison donne peu l’occasion d’activer le système d’attachement : l’évaluation se fait ici dans un contexte de stress bas, contrairement à la SSP où le stress est plus élevé.
Comme pour la situation étrange, la pertinence de cet instrument a été critiquée en ce qui concerne l’évaluation de l’attachement de l’enfant au père [21]. Ces auteurs font aussi l’hypothèse d’un biais méthodologique pour les enfants de plus de 2 ans, car les comportements décrits dans le Q-Set peuvent avoir un sens différent pour les parents en fonction du sexe de l’enfant.
L’AQS met plutôt l’accent sur l’équilibre entre l’attachement et l’exploration dans un cadre naturel, et concerne les attentes de l’enfant d’une guidance parentale dans des conditions plus naturelles [5]. Les chercheurs choisiront donc entre AQS et SSP l’instrument le plus adapté en fonction des caractéristiques de leur recherche.

Mesures de « caregiving »

Les mesures de « caregiving » sont en plein développement et nous ne décrivons que les plus utilisées actuellement.

Entretiens évaluant les représentations parentales

« Parental Development Interview »

Le PDI [22] est un entretien semi-structuré composé de 45 items, destiné à évaluer les représentations parentales des parents de leur enfant, d’eux-mêmes en tant que parents et de la relation avec leur enfant. Il s’intéresse à la compréhension qu’ont les parents des comportements, pensées et émotions de leur enfant, en leur demandant de fournir des exemples concrets de moments partagés importants. Il donne accès à la façon dont les parents comprennent les états mentaux de leur enfant dans les moments de demande émotionnelle importante [23].
Le PDI utilise une échelle composée de trois dimensions générales :
  • les représentations parentales de leur propre expérience affective ;
  • les représentations parentales des expériences affectives de leur enfant ;
  • l’état d’esprit des parents.
Les représentations parentales de leurs expériences affectives sont cotées en fonction de trois facteurs :
  • joie-plaisir/cohérence ;
  • colère ;
  • culpabilité-stress à la séparation.
Dans un second temps, les auteurs du PDI ont adapté le manuel développé par Fonagy et al. pour évaluer la fonction réflexive à partir des transcrits de l’AAI (cf. chapitre 14) pour l’utiliser avec le PDI. Tous les items du manuel de l’AAI/RF ont alors été révisés de façon à pouvoir être utilisés pour coter le PDI. Le PDI donne une vue actuelle et dynamique d’une relation émotionnellement intense qui est en train de se former et encore en évolution.

« Experiences of Caregiving Interview » [24]

C’est un entretien clinique inspiré du PDI où on demande aux mères d’enfants jeunes (début de la scolarité primaire) de décrire leur relation à leur enfant en se centrant sur les aspects affectifs, et spécifiquement la façon dont elles gèrent les séparations et la mise à l’école. Les résultats sont rassemblés et notés (en sept points) selon quatre échelles : base de sécurité (représentations de la mère de sa capacité à fournir protection et sécurité affective à l’enfant), rejet (comment la mère se représente son désir de participer aux soins à son enfant), incertitude (dans quelle mesure la mère doute, reste indécise et confuse en ce qui concerne son rôle dans sa relation à l’enfant), impuissance (dans quelle mesure la mère se représente comme impuissante dans sa fonction de donner des soins et sa relation à l’enfant). Une note de 5 à une échelle correspond à une représentation mesurée.
Cette épreuve permet de mesurer des représentations maternelles, qui peuvent différer de ce qu’un observateur notera en évaluant les interactions mère-enfant.
Les auteurs ont aussi validé un autoquestionnaire à partir de cette épreuve, le Caregiving Helplessness Questionnaire (CHQ) qui est décrit dans leur ouvrage récent sur l’attachement désorganisé et les soins parentaux [25]. C’est un questionnaire de 26 items qui évalue les soins parentaux désorganisés à l’aide de trois échelles : impuissance maternelle, relation mère-enfant effrayée et inversion des rôles. Les items sont cotés sur une échelle de Lickert de 1 à 5.

« Working Model of the Child Interview » [26, 27]

Le WMCI [28] permet de catégoriser les « caregivers » en fonction de la perception et de l’expérience subjective qu’ils ont de leur enfant et de la relation avec lui, elles-mêmes liées à l’attachement au « caregiver ». Il essaie de décrire le MIO du parent par rapport à son enfant.
L’entretien est coté selon 14 dimensions (sur une échelle de Likert) qui évaluent plusieurs éléments des représentations maternelles de l’enfant : la qualité (par exemple, cohérence, intensité de l’investissement), le contenu (par exemple, peur qu’il arrive quelque chose à l’enfant) et l’affectivité (par exemple, joie, indifférence). Le WMCI distingue trois catégories fondées sur ces représentations : la catégorie « équilibrée » se caractérise par l’intégration d’affects négatifs et positifs, la richesse de détails et l’acceptation de la place prise par la relation avec l’enfant dans sa vie ; la catégorie « détachée-non équilibrée » se caractérise par une communication distante avec l’enfant et un manque d’investissement personnel et émotionnel ; la catégorie « déformée-non équilibrée » est caractérisée par l’inconsistance des représentations avec des affects peu définis et contradictoires.

« Insightfulness Assessment » (IA)

L’IA [29] évalue les capacités réflexives des mères lorsqu’on leur demande de penser aux expériences personnelles de leur enfant et aux intentions qui sous-tendent ses comportements. L’IA évalue la capacité du parent à percevoir les choses du point de vue de l’enfant, ainsi que la capacité du parent à évoquer les intentions derrière ses comportements.
L’entretien, semi-structuré est divisé en quatre parties. Les trois premières parties portent sur trois extraits vidéo de trois situations d’interaction parent-enfant (précédemment filmés) qui sont présentés l’un après l’autre au parent. La quatrième partie comporte des questions plus générales. Par rapport aux autres entretiens décrits ci-dessus (PDI ou WMCI), on ne s’intéresse pas aux représentations maternelles de la relation à l’enfant évaluées dans le discours de la mère, mais à son analyse immédiate des comportements de son enfant et de ses propres réactions. Les transcrits de l’entretien sont analysés selon dix dimensions cotées sur une échelle en neuf points : la « perception des intentions de l’enfant » ; « l’ouverture d’esprit/la souplesse de pensée » ; la « complexité de la description » de l’enfant ; la « centration » sur l’enfant ; la « richesse » de la description de l’enfant ; la « cohérence » de la pensée ; « l’acceptation » des comportements de l’enfant ; la « colère » contre l’enfant ; la « préoccupation » ; « l’individualité » de l’enfant. Les différents scores permettent de classer les mères en quatre catégories. Les « mères capables d’insight » sont capables de percevoir les expériences à travers les yeux de leurs enfants et de comprendre les intentions qui sous-tendent leur comportement ; les « mères qui ne prennent en compte qu’une perspective » semblent avoir une conception préétablie de l’enfant, qu’elles appliquent à l’observation des vidéos sans être ouvertes à une lecture différente ; les mères « détachées » ont peu d’investissement émotionnel. Les mères « mixtes » ne peuvent être classées dans aucune des trois catégories précédentes.

Outils d’observation des comportements parentaux

« Atypical Maternal Behaviour Instrument for Assessment and Classification » (AMBIANCE) [30]

Cet outil a été élaboré pour évaluer les comportements parentaux susceptibles d’entraîner un attachement désorganisé (cf. chapitre 10). Ceux-ci sont observés lors de la SSP ou de toute autre observation d’interactions où l’enfant est exposé à du stress en présence de son « caregiver ». Il permet d’évaluer le niveau de rupture de la communication parentale en cinq dimensions : les « erreurs de communication émotionnelle » (par exemple, des signaux contradictoires à l’enfant) ; la « confusion de rôle/limites » (par exemple, considérer l’enfant comme un partenaire sexuel/conjoint). La « crainte/désorientation » (par exemple, être effrayé par les comportements de l’enfant) ; l’« intrusion/négativité » (par exemple, attitudes agressives envers l’enfant) ; le « retrait » (par exemple, maintenir une distance avec l’enfant). Le codage final est fondé sur une échelle globale en sept points : la valeur seuil de 5 différencie « non-rupture » et « rupture ». Il existe également deux modalités de rupture dans la communication émotionnelle : la forme en « retrait/désorientée » et la forme « hostile avec inversion et confusion des rôles ».

« Caregiving System » (Caregiving Behaviour Classification System [CBCS]) [31]

C’est un système de classification des comportements du « caregiver » observés à la SSP, complémentaire du système de classification des comportements d’attachement de Cassidy et Marvin [32], pour parents d’enfants entre 2 et 6 ans. Sont prises en compte cinq dimensions : regard, organisation de la proximité et du contact, qualité du discours, régulation émotionnelle et discipline ou structuration du comportement de l’enfant. Dix échelles décrivent les qualités du comportement parental qui sont connues comme étant, dans de tels contextes d’attachement-« caregiving », liées aux stratégies d’attachement de l’enfant : sensibilité, plaisir du parent, émotions négatives, soutien à une exploration compétente, rejet, affection, négligence, pression à la réussite, hyper implication par rapport à l’attachement et inversion des rôles. On aboutit à une classification des patterns parentaux en cinq catégories de comportement de « caregiver » : une sécurisante, deux insécurisantes mais sans désorganisation et deux désorganisantes.

« CARE-Index » [33, 34]

Il s’agit d’observer l’interaction (vidéoscopée) d’une mère et de son enfant (entre 0 et 15 mois ; et de 15 mois à 3 ans pour le Toddler CARE-Index) pendant trois à cinq minutes pour évaluer chez la mère la sensibilité, l’hostilité ouverte ou cachée, la difficulté à répondre (unresponsiveness). Les échelles sont très corrélées avec les patterns d’attachement à la SSP ; elles différencient abus, négligence, maltraitance et dyades normales. Elles peuvent être utilisées durant une intervention et permettent d’en évaluer l’effet. Il est nécessaire d’avoir une formation spécifique à cet outil. Cet instrument peut être utilisé avec des « caregivers » autres que la mère.

« Coding Interactive Behavior » [35, 36]

Ce système de codage des interactions parents-enfant, utilisable entre 2 et 36 mois, comprend notamment une échelle permettant de mesurer la sensibilité maternelle. Celle-ci rassemble des items de reconnaissance des besoins de l’enfant, d’imitation, d’élaboration, de regard du parent/attention conjointe, d’affect positif du parent, de discours adéquat, de modulation appropriée des affects, de félicitations/encouragement, de gestes affectueux, de présence sécurisante, et de conduite de la relation par l’enfant. Ces dimensions sont mesurées grâce à une échelle de Lickert en cinq points. Une étude de validation française a été menée [37].

Conclusion

L’évaluation de l’attachement chez l’enfant jeune est une des forces de la théorie de l’attachement. Celle du « caregiving » se développe de plus en plus et est devenue un focus important d’attention pour beaucoup de cliniciens qui utilisent ces outils dans leurs pratiques d’intervention attachement-informées ; ils nécessitent une formation rigoureuse qui garantit la validité des résultats des études sur l’attachement.