Une polyglobulie est suspectée devant une augmentation de l'hématocrite et de l'hémoglobine à l'hémogramme, mais est définie par une augmentation du volume globulaire total (VGT), c'est-à-dire le volume occupé par l'ensemble des globules rouges de l'organisme (à ne pas confondre avec le volume globulaire moyen qui correspond au rapport de l'hématocrite divisé par le nombre d'hématies, qui est exprimé en fL). La numération des globules rouges ne doit pas être prise en compte pour éviter les erreurs d'interprétation.
Physiopathologie
Les polyglobulies peuvent être :
▶primitives par dérèglement intrinsèque de la prolifération érythrocytaire : c'est le cas de la polyglobulie de Vaquez (PV) ;
▶secondaires (les plus fréquentes) à une stimulation de l'érythropoïèse par l'érythropoïétine (EPO) en réaction à :
▪une hypoxie aiguë ou chronique (séjour prolongé en altitude, tabagisme chronique, insuffisance respiratoire, syndrome d'apnée du sommeil, intoxication au monoxyde de carbone, insuffisance cardiaque…),
Les manifestations cliniques associées aux polyglobulies sont très variables et dépendent de l'intensité de la polyglobulie et/ou du terrain vasculaire du patient.
▶L'absence de symptôme est fréquente (découverte fortuite à l'occasion d'un bilan sanguin).
▶Érythrose cutanéomuqueuse prédominant à la face et sur la paume des mains.
▶Signes d'hyperviscosité sanguine :
▪céphalées récurrentes (mauvaise oxygénation du cerveau) ;
▪acouphènes, vertiges (mauvaise oxygénation de l'oreille interne) ;
▪trouble visuel à type de phosphène, diplopie (mauvaise oxygénation de la rétine) ;
▪paresthésies des extrémités des membres inférieurs et supérieurs.
Parfois, la polyglobulie est découverte à l'occasion de complications thrombotiques artérielles ou veineuses.
La polyglobulie de Vaquez
Définition
La polyglobulie de Vaquez est le chef de file des polyglobulies, non pas tant par sa fréquence que par le tableau clinique typique et les complications.
Il s'agit d'une polyglobulie primitive qui appartient au groupe des syndromes myéloprolifératifs (ou néoplasies myéloprolifératives), pathologies résultant de la transformation maligne d'un progéniteur multipotent et se traduisant par une prolifération non contrôlée des cellules myéloïdes, prédominant dans le cas de la polyglobulie sur la lignée érythroïde.
La PV se caractérise, au sein des néoplasies myéloprolifératives, par :
▶l'atteinte prédominante de la lignée rouge ;
▶la présence de la mutation JAK2 V617F (95 % des cas) ;
▶l'absence de chromosome Ph1 ou de réarrangement bcr-abl dans les cellules hématopoïétiques ;
▶le risque élevé de thrombose, à court terme ;
▶le risque (faible, 15 % à 15 ans) de myélofibrose secondaire ou de transformation en leucémie aiguë myéloblastique, à long terme ;
▶une évolution prolongée (en moyenne 12 ans) et une bonne sensibilité au traitement.
Physiopathologie
Comme toutes les néoplasies myéloprolifératives, la PV est une maladie clonale issue de la transformation d'une cellule souche médullaire. Les progéniteurs érythroblastiques sont capables de pousser en culture in vitro indépendamment de tout apport d'EPO. Ils sont devenus autonomes (colonies endogènes).
Cette autonomie est la conséquence de la mutation acquisede la kinase JAK2 qui la rend constitutivement active, mimant les effets de l'EPO (Figure 23.1).
Figure 23.1 Récepteur de l'EPO et effet de la mutation activatrice V617F sur la protéine JAK2.
L'EPO est un facteur de croissance synthétisé par le rein indispensable à l'érythropoïèse.
Épidémiologie
La maladie de Vaquez touche environ 1 sujet pour 100 000 habitants par an et est présente essentiellement chez l'adulte de plus de 50 ans (95 %) (âge médian : 68 ans) avec une légère prédominance chez les hommes.
Circonstances de découverte
Les circonstances de découverte sont :
▶le plus souvent un hémogramme réalisé de façon systématique ;
▶une pesanteur de l'hypochondre gauche due à une grosse rate (splénomégalie) ;
▶un bilan réalisé en raison d'une érythrose faciale (nez, lèvres, oreilles et cou) et des muqueuses ;
▶un bilan réalisé en raison d'un prurit diffus, prurit déclenché par le bain, la douche (prurit aquagénique) ;
▶la survenue d'une complication thrombotique inaugurale, veineuse le plus souvent ou artérielle dans 15–20 % des cas.
La splénomégalie et le prurit aquagénique orientent vers le diagnostic de PV par rapport aux causes secondaires.
Diagnostic biologique
Hémogramme
L'hémogramme évoque d'emblée le diagnostic s'il montre typiquement une augmentation des 3 lignées :
▶Une augmentation de l'hématocrite (Ht) > 54 % (homme) ou > 47 % (femme)
▶Une augmentation de l'hémoglobine > 165 g/L (homme) ou > 160 g/L (femme)
▶Une hyperleucocytose à PNN, modérée et inconstante
▶L'absence habituelle de myélémie, d'hyperéosinophilie
▶Une thrombocytose modérée
À noter
L'hématocrite et l'hémoglobine sont à interpréter en l'absence de déshydratation, il convient donc de doser la protéinémie en parallèle.
Dosage DE L'EPO sérique
L'EPO est classiquement diminuée, permettant d'éliminer la plupart des polyglobulies secondaires.
Biopsie ostéo-médullaire
La biopsie de moelle montre, comme dans toutes les néoplasies myéloprolifératives :
▶une disparition de la vacuolisation graisseuse ;
▶une hyperplasie du tissu hématopoïétique ;
▶une augmentation du nombre des mégacaryocytes.
Recherche de la mutation jak2
La mutation activatrice JAK2 V617F est retrouvée dans plus de 95 % des cas. Cette mutation acquise est détectable sur un prélèvement sanguin. Il existe d'autres mutations activatrices de JAK2 (notamment sur l'exon 12 dans 2 % des PV).
À noter
Critères diagnostiques OMS de la maladie de Vaquez (classification OMS 2016)
▶Trois critères majeurs :
▪A1 Augmentation de l'hémoglobine > 165 g/L chez l'homme, > 160 g/L chez la femme
▪A2 Présence d'une mutation activatrice de JAK2
▪A3 Biopsie ostéo-médullaire montrant une hypercellularité avec prolifération excessive des trois lignées myéloïdes avec mégacaryocytes polymorphes et matures
▶Un critère mineur :
▪B1 Érythropoïétine circulante inférieure à la norme
On considère que la polyglobulie est primitive (PV) si on observe :
A1 + A2 + A3 ou A1 + A2 + B1
Mesure isotopique du volume globulaire total (VGT)
C'est le seul examen qui permet d'affirmer une polyglobulie vraie : il consiste en une dilution d'hématies autologues marquées au technétium 99. On parlera de polyglobulie vraie si le VGT mesuré est > 125 % de la valeur théorique rapportée au poids et à la taille du patient.
Il a été montré qu'une polyglobulie vraie pouvait être affirmée en l'absence d'hémoconcentration si :
▶Ht ≥ 60 % chez l'homme ;
▶Ht ≥ 56 % chez la femme.
La mesure du VGT est en pratique de moins en moins pratiquée et réservée aux diagnostics complexes.
Diagnostic différentiel et autres causes de polyglobulies
Hémoconcentration
Il convient d'éliminer une éventuelle hémoconcentration (suspectée devant une augmentation de la concentration des protéines sériques) pour ne pas initier un bilan biologique complet devant une fausse polyglobulie.
Vraies polyglobulies secondaires
▶Origine hypoxique :
▪séjour prolongé en altitude, tabagisme chronique, insuffisance respiratoire, syndrome d'apnée du sommeil, intoxication au monoxyde de carbone, insuffisance cardiaque :
L'objectif des traitements est de diminuer la volémie et l'hyperviscosité sanguine (corrélée à l'augmentation de l'hématocrite), ce qui prévient les complications thromboemboliques.
Les moyens thérapeutiques sont :
▶les saignées :
▪ne doivent être qu'un traitement d'urgence,
▪elles s'imposent lorsque l'hématocrite dépasse 60 % ou lorsque l'hémoglobine dépasse 200 g/L,
▪prélèvement de 300 ml à 500 ml de sang,
▪avec compensation par un volume équivalent de soluté macromoléculaire,
▪visant à ramener l'hématocrite en dessous de 45 % (la répétition des saignées entraîne une carence en fer à visée freinatrice de l'érythropoïèse) ;
▶en traitement de fond, les agents cytotoxiques :
▪hydroxyurée(Hydréa®) : traitement d'attaque (2 à 4 gélules par jour) ; un traitement d'entretien continu est nécessaire pour maintenir un hématocrite < 45 %. La tolérance de ce médicament est très bonne : macrocytose progressive (parfois VGM à 130 fL), troubles cutanés (sécheresse cutanée, aphtes buccaux, rares ulcères malléolaires qui imposent l'arrêt du traitement). C'est le médicament de choix pour le traitement de fond en première intention et chez le sujet âgé > 65–70 ans,
▪le pipobroman(Vercyte®) est utilisé en deuxième intention et chez les sujets âgés car il augmente le risque de transformation en leucémie aiguë,
▪l'interféron alpha-2a pégylé (Pegasys®) : n'a pas l'AMM dans cette indication mais est très utilisé en pratique courante ; seul traitement qui permet une rémission moléculaire sur le moyen/long terme. En revanche il est associé à de fréquents effets indésirables (environ dans 20 à 25 % des cas : dépression, troubles thyroïdiens, troubles auto-immuns). Le mode d'administration des interférons se fait par voie sous-cutanée,
Pour information : une forme d'interféron alpha-2b pégylé (Ropeginterféron, Besrémi®) sera bientôt commercialisée, mieux tolérée (environ 5 % d'effets indésirables).
▪inhibiteur de JAK1/JAK2 : ruxolitinib(Jakavi®) : traitement per os, très efficace sur le prurit aquagénique mais avec peu d'effet sur la réponse moléculaire. Il est prescrit en 2e intention en cas d'intolérance et/ou résistance à l'Hydréa® et/ou à l'interféron ;
▶les antiplaquettaires : aspirine à faible dose (100 mg/j par exemple) : diminuent le risque de thrombose. Elle doit être prescrite systématiquement en association avec les saignées ou les traitements myélosuppresseurs.
Complications évolutives de la pv
Complications immédiates : les thromboses
Les thromboses, artérielles ou veineuses, sont une cause majeure de morbidité et de mortalité. Tous les vaisseaux peuvent être atteints mais il s'agit surtout :
▶d'accidents vasculaires cérébraux ischémiques ;
▶d'ischémies aiguës des membres ;
▶de thromboses des veines portes et/ou sus-hépatiques (syndrome de Budd-Chiari).
Le risque de thrombose augmente avec :
▶l'âge ;
▶l'hématocrite (et donc avec la viscosité sanguine) ;
Complications à long terme : la myélofibrose et la leucémie aiguë
Ces complications surviennent après 8 à 10 ans d'évolution (le risque est évalué à 15 % après 15 ans d'évolution).
La myélofibrose secondaire avec métaplasie myéloïde reproduit le tableau d'une splénomégalie myéloïde. Elle est évoquée devant :
▶l'apparition d'une anémie nécessitant l'arrêt du traitement ;
▶l'augmentation progressive du volume splénique ;
▶l'apparition d'une myélémie avec érythroblastes.
Elle est confirmée par la biopsie médullaire qui montre la fibrose réticulinique et le collagène étouffant progressivement le tissu hématopoïétique. Le traitement repose sur l'utilisation d'un inhibiteur de JAK2 (Ruxolitinib) mais le pronostic devient très sévère.
La leucémie aiguë secondaire complique la PV d'emblée ou après une phase de myélofibrose. Insensible au traitement, elle entraîne le décès en quelques semaines.
QCM
QCM 1
Parmi les affirmations suivantes, laquelle (lesquelles) est (sont) vraie(s) ?
A.Une polyglobulie est définie par l'augmentation du volume globulaire moyen
B.Une polyglobulie peut se compliquer d'évènement thrombotique
C.Un prurit aquagénique en présence d'une polyglobulie oriente vers une maladie de Vaquez
D.Une insuffisance respiratoire peut engendrer une polyglobulie
E.Une insuffisance rénale chronique s'associe fréquemment à une polyglobulie
QCM 2
Parmi les médicaments suivants, quel(s) est (sont) celui (ceux) utilisé(s) dans la polyglobulie de Vaquez ?
A.Ibrutinib
B.Imatinib
C.Dasatinib
D.Ruxolitinib
E.Carfilzomib
QCM 3
Parmi les affirmations suivantes concernant la maladie de Vaquez, laquelle (lesquelles) est (sont) vraie(s) ?
A.C'est une néoplasie
B.Une mutation JAK2 est fréquemment retrouvée
C.C'est une affection bénigne qui n'a pas de retentissement sur la survie
D.Une splénomégalie est fréquente
E.Il s'agit d'une polyglobulie secondaire
QCM 4
Quelle(s) est (sont) les pathologie(s) qui peut(vent) donner une polyglobulie secondaire ?