Chapitre 9 Histoire naturelle du cancer
Connaître et savoir décrire à l’aide d’exemples les principales phases de l’histoire naturelle du cancer : phase précancéreuse (prédispositions, dysplasie), phase locale (micro-invasion, extensions loco-régionales), phase générale (métastatique).
Connaître les principes de la classification TMM des tumeurs.
L’histoire naturelle d’un cancer peut être divisée schématiquement en plusieurs étapes :
• la transformation cancéreuse d’une cellule ;
• l’expansion clonale de la cellule cancéreuse ;
• la croissance de la masse tumorale qui devient cliniquement détectable et l’invasion locale avec envahissement loco-régional par le tissu cancéreux ;
• la dissémination des cellules cancéreuses à distance du foyer tumoral initial et la formation de foyers tumoraux secondaires = les métastases.
Cette progression tumorale est liée à l’instabilité génétique des cellules cancéreuses. Des modifications génétiques spontanées vont survenir progressivement, avec apparition de variants du clone initial, entraînant une hétérogénéité de la tumeur. Ces clones variants auront des comportements prolifératifs, invasifs, antigéniques, et métastatiques hétérogènes, ou encore une sensibilité inégale à la chimiothérapie.
Tous les épithéliums reposent sur une membrane basale qui sépare les cellules épithéliales du tissu conjonctivo-vasculaire sous-jacent appelé chorion. Les étapes du développement d’un carcinome (cancer d’origine épithéliale) avant la phase d’invasion correspondent aux étapes strictement intra-épithéliales de la carcinogenèse.
On distingue deux étapes : les dysplasies et le carcinome in situ.
Les conditions précancéreuses sont des états cliniques associés à un risque significativement élevé de survenue de cancer. Elles permettent de déterminer des populations à risque pour un cancer donné.
Les lésions précancéreuses sont des anomalies histopathologiques détectables avant l’apparition d’un cancer.
Certains cancers apparaissent aussi sur des lésions pré-existantes, comme les carcinomes développés sur des cicatrices de brûlure ou des lésions de radiodermite. Une condition précancéreuse est donc distincte d’une lésion précancéreuse (figure 9.1).
Figure 9.1 La polypose colique familiale est une condition précancéreuse, car cette maladie entraîne un risque important de cancer du côlon. Elle se traduit en particulier par la survenue de nombreux adénomes coliques (photo macroscopique d’une colectomie).
Certaines lésions précancéreuses sont appelées dysplasies. Les dysplasies sont des troubles acquis de l’homéostasie cellulaire résultant d’anomalies génétiques qui altèrent le contrôle de la prolifération et la maturation cellulaire. Les dysplasies ne sont décrites que dans les épithéliums (col utérin, tube digestif, voies aériennes, glande mammaire, voies urinaires…) et sont des lésions précancéreuses car les cellules dysplasiques peuvent, inconstamment et dans un délai très variable, se transformer en cellules cancéreuses par accumulation d’autres anomalies génétiques.
Le terme de « dysplasie » a un deuxième sens, plus près de son étymologie (dys/anomalie ; platein/construire). Il désigne toute lésion résultant d’une anomalie du développement d’un tissu, d’un organe ou d’une partie de l’organisme (ex : dysplasie rénale, dysplasie dentaire). Il est également utilisé pour désigner certaines maladies constitutionnelles rares, à caractère malformatif plus ou moins manifeste (ex : dysplasie fibreuse des os).
L’état dysplasique peut être diagnostiqué par l’examen anatomopathologique, cytologique et/ou histologique :
• architecture tissulaire : augmentation de la densité cellulaire, diminution de la différenciation cellulaire, anomalies de la polarité cellulaire, désorganisation de l’épithélium ;
• cytologie : mitoses en nombre augmenté, augmentation des rapports nucléo-cytoplasmiques, anisocytose et anisocaryose (figure 9.2).
Figure 9.2 Dysplasie de bas grade (en haut) ou de haut grade (en bas) du col utérin. Dans la dysplasie de haut grade, l’architecture de l’épithélium est très perturbée et des mitoses sont détectables jusqu’à son tiers supérieur.
Ces anomalies microscopiques sont plus ou moins intenses et étendues, et ceci est la base de la notion de grade : l’anatomopathologiste doit non seulement reconnaître une dysplasie mais doit indiquer son grade c’est-à-dire son intensité. En règle, plus la dysplasie est marquée, plus le risque de transformation en cancer à plus ou moins court terme est élevé.
Le grade a donc pour but d’évaluer le pronostic pour guider l’attitude thérapeutique.
Différentes terminologies sont employées pour qualifier les différents grades de dysplasie :
Au niveau des épithéliums, séparés du tissu conjonctif par une membrane basale bien distincte, il est possible de décrire un stade de carcinome in situ : prolifération de cellules épithéliales cancéreuses qui ne franchit pas la membrane basale de l’épithélium, et donc n’envahit pas le tissu conjonctif. Le carcinome in situ est aussi dit « non invasif ».
À ce stade, les cellules cancéreuses ne sont pas accompagnées par un stroma et les métastases sont impossibles.
Les localisations des CIS sont celles des dysplasies :
• autres muqueuses malpighiennes (lèvres et bouche, œsophage, larynx, muqueuses génitales, bronches après métaplasie malpighienne) et peau ;
• urothélium (vessie surtout) ;
• muqueuses digestives (surtout à partir des adénomes, parfois aussi en muqueuse plane : par exemple sur une métaplasie intestinale gastrique ou du bas œsophage [endobrachyœsophage]) ;
• sein : carcinome lobulaire in situ touchant les petits acini mammaires, ou carcinome intracanalaire dans les canaux excréteurs galactophores.
Le diagnostic de carcinome in situ est histologique, sur des biopsies ou sur des pièces opératoires. En effet, il n’y a pas de masse tumorale et les modifications macroscopiques sont minimes et ne servent qu’à orienter les biopsies.
La distinction entre carcinome in situ et dysplasie sévère ou de haut grade est difficile et parfois impossible. En pratique, ceci n’a pas d’importance car l’attitude thérapeutique est identique qu’il s’agisse d’une dysplasie sévère ou d’un carcinome in situ. Le point important du diagnostic est ici, par définition, l’intégrité de la membrane basale et donc l’absence d’envahissement cancéreux du tissu conjonctif.
N.B. : le terme de carcinome in situ présente toutefois dans la classification OMS deux exceptions ne respectant pas strictement cette définition : les adénocarcinomes colorectaux envahissant la muqueuse sans dépasser la musculaire muqueuse, et les tumeurs urothéliales n’infiltrant pas la musculeuse.
Le carcinome in situ peut demeurer non invasif pendant plusieurs années, mais évolue spontanément dans la très grande majorité des cas en un carcinome invasif. Il peut toutefois exister des régressions spontanées.
Le schéma évolutif {dysplasie → CIS → carcinome invasif}, s’il est très fréquent, n’est probablement pas applicable à tous les carcinomes.
Le dépistage des carcinomes in situ est très important pour le pronostic, car à ce stade aucune métastase ne s’est constituée. Le traitement peut être local et curatif.
Les cellules tumorales envahissent le tissu conjonctif selon un processus actif et complexe, lié à l’acquisition de nouvelles propriétés biologiques par certaines cellules du clone tumoral. Le stroma du cancer (notamment l’angiogenèse indispensable dès que la masse tumorale dépasse 1 à 2 mm de diamètre) est nécessaire à la croissance de la tumeur et s’élabore lors de la phase d’invasion.
La plupart des carcinomes débutent par une phase de prolifération intra-épithéliale, puis deviennent invasifs lors du franchissement de la membrane basale. Les cancers non épithéliaux sont d’emblée invasifs, à l’exception des mélanomes qui peuvent présenter une phase initiale intra-épidermique et des séminomes testiculaires qui font le plus souvent suite à une « néoplasie germinale intratubulaire ».
L’invasion tumorale fait intervenir plusieurs mécanismes :
1. interaction des cellules cancéreuses avec les composants de la matrice extra-cellulaire et notamment les membranes basales ;
2. dégradation du tissu conjonctif (matrice extra-cellulaire et membranes basales) ;
Les cellules normales sont liées entre elles et à la matrice extra-cellulaire par des systèmes de jonction et par des molécules d’adhésion. La modulation d’expression des molécules d’adhésion et la diminution des jonctions intercellulaires entre les cellules tumorales participent à l’invasion tumorale.
La capacité des cellules tumorales à se dissocier dépend aussi de leur degré de différenciation ; une caractéristique morphologique de nombreuses tumeurs est la présence de cellules moins bien différenciées au niveau du front d’invasion. Cette dédifférenciation est probablement contrôlée par des interactions tumeur-micro-environnement péri-tumoral.
Pour plus d’informations, voir le complément en ligne En savoir plus 9.1 : « Les intégrines ».
En savoir plus 9.1
Les intégrines
Les intégrines sont des glycoprotéines transmembranaires capables de connecter le cytosquelette avec des composants de la matrice extra-cellulaire. Elles favorisent donc l’adhérence des cellules entre elles.
Chaque type de cellules malignes exprime un répertoire particulier d’intégrines. Les cellules cancéreuses douées de capacité d’invasion des tissus sains présentent souvent une modification de l’affinité des intégrines pour leurs ligands, par rapport à des cellules non cancéreuses ou à des cellules cancéreuses non invasives.
La distribution des intégrines à la surface des cellules cancéreuses est liée à l’état de différenciation cellulaire : en position basale et baso-latérale dans des cellules épithéliales polarisées différenciées, elles sont entièrement péri-cellulaires dans des cellules non polarisées ou indifférenciées.
Sauf exception, l’appauvrissement en intégrines fonctionnelles à la surface des cellules cancéreuses s’accompagne d’une augmentation de la motilité cellulaire et d’un accroissement des propriétés invasives, alors qu’une forte expression d’intégrines tend à immobiliser les cellules cancéreuses.
Les cellules cancéreuses sont capables de dégrader les constituants de la membrane basale et de la matrice extra-cellulaire. Cette protéolyse fait intervenir des enzymes sécrétées par les cellules cancéreuses et/ou par des cellules du stroma (fibroblastes) stimulées par des facteurs solubles sécrétés par les cellules cancéreuses. Ces enzymes sont notamment des métalloprotéases matricielles (MMP), des constituants du système de la plasmine. Le processus fait également intervenir une rupture d’équilibre entre ces enzymes et leurs inhibiteurs.
La migration des cellules passe par l’accumulation de micro-filaments sous la membrane plasmique, permettant des déplacements par pseudopodes. Elle fait intervenir des facteurs autocrines de mobilité et des facteurs chimiotactiques : produits de la dégradation de la matrice extra-cellulaire, cytokines et facteurs de croissance.
À partir de l’épithélium, les cellules carcinomateuses érodent la membrane basale et envahissent la partie superficielle du chorion sous-jacent. À ce stade, le carcinome est appelé « micro-invasif ». Ces cancers invasifs superficiels ont généralement un meilleur pronostic que celui des cancers plus évolués de même type.
Par exemple, dans l’estomac, il est possible d’individualiser un cancer « intramuqueux » : il s’agit d’un cancer envahissant le chorion muqueux sans franchissement de la musculaire muqueuse. Son pronostic est nettement plus favorable que celui des cancers ayant dépassé la musculaire-muqueuse et envahi les couches pariétales plus externes : risque métastatique faible.
C’est lors de la phase d’invasion que s’élabore le stroma du cancer. À partir du moment où le cancer devient invasif, les cellules cancéreuses peuvent disséminer à distance pour former des métastases.
L’invasion est un signe de malignité important, qui a souvent plus de valeur que les « atypies » morphologiques des cellules pour faire le diagnostic anatomopathologique de cancer : ce caractère invasif ne peut pas s’apprécier sur un examen cytologique (en dehors de signes indirects) mais seulement sur une biopsie ou une pièce opératoire (figure 9.3).
La tumeur s’étend progressivement dans l’organe où elle est née et envahit ses différents constituants de proche en proche (ex : sous-muqueuse puis musculeuse colique, musculeuse vésicale, hypoderme…). Les tissus normaux sont ainsi progressivement remplacés par la formation tumorale. Dans un organe plein (foie, reins), elle forme une masse arrondie, unique. Dans un organe creux comme le tube digestif, elle envahit plus ou moins rapidement et successivement les différents plans de la paroi. L’examen anatomopathologique permet donc de préciser le stade d’extension, le plus souvent en utilisant la classification TNM, qui dépend de chaque organe.
Un cancer invasif détruit les tissus normaux et utilise préférentiellement les voies de moindre résistance pour se propager : espaces conjonctifs lâches, espaces péri-nerveux, capillaires lymphatiques et sanguins, parois veineuses. Les cellules cancéreuses peuvent se disperser de façon isolée dans le tissu conjonctif, très à distance de la masse tumorale principale (ce qui justifie les exérèses larges de certaines tumeurs malignes) et être à l’origine des récidives locales (figure 9.4).
Figure 9.4 Adénocarcinome du côlon. Présence sur cette photographie macroscopique d’une tumeur bourgeonnante, polypoïde.
Certains tissus conjonctifs résistent longtemps à l’envahissement : périoste, disques intervertébraux, cartilage épiphysaire…
Une tumeur infiltrante peut se manifester cliniquement par différents mécanismes :
• effet de masse (ex : distension douloureuse d’une capsule rénale ou hépatique) ;
• obstruction d’un canal par compression (ex : ictère par compression du cholédoque par un adénocarcinome pancréatique).
Par contiguïté, la tumeur va ensuite envahir les organes voisins et les structures adjacentes ; c’est l’extension régionale.Exemple : envahissement de la cavité pleurale ou du médiastin par un cancer du poumon, envahissement de la loge rénale ou des cavités pyélo-calicielles par un carcinome rénal, envahissement de la paroi abdominale par un cancer du côlon…
La progression tumorale dépend du pouvoir prolifératif et du pouvoir métastasiant.
Après une phase locale, les métastases (du grec métastasis : déplacement) font toute la gravité de la maladie cancéreuse.
Les métastases sont des foyers cancéreux secondaires, développés à distance de la tumeur primitive, et dont la croissance est autonome, indépendante de celle de la tumeur primitive.
Le moment d’apparition des métastases dans l’histoire naturelle d’un cancer est variable :
• elles peuvent être révélatrices d’une tumeur primitive jusque-là asymptomatique et donc méconnue (ex : métastase cérébrale symptomatique d’un mélanome cutané non diagnostiqué) ;
• elles peuvent être contemporaines de la tumeur primitive et sont découvertes, soit lors du bilan d’extension, soit parce qu’elles entraînent des symptômes cliniques ;
• elles peuvent survenir au cours de l’évolution d’un cancer traité, parfois très tardivement alors que la tumeur primitive est éradiquée par la thérapeutique (plus de 10 ans parfois, notamment pour certains cancers du rein ou du sein).
Elles vont souvent de pair avec la résistance au traitement.
Une très faible proportion des cellules tumorales circulantes est capable de former une métastase : moins d’une sur 10 000 cellules tumorales qui quittent la tumeur primitive échappe au système de défense de l’organisme et fonde une nouvelle tumeur.
Du fait de leur hétérogénéité génétique et phénotypique, les diverses cellules cancéreuses d’une même tumeur ont des capacités métastatiques variables : l’histoire naturelle d’un cancer comporte une sélection positive de sous-clones cellulaires à capacité métastasiante.
Que ce soit par voie sanguine ou lymphatique, les cellules cancéreuses qui quittent le foyer tumoral initial doivent franchir des étapes successives : chaque étape représente un obstacle que seul un petit nombre de cellules cancéreuses ayant réussi à s’adapter à un nouvel environnement réussiront à franchir.
Ces différentes étapes sont (voir figure 9.5) :
C’est une étape limitante qui met en jeu les molécules d’adhésion (perte de l’ancrage cellulaire), les protéases extra-cellulaires (dégradation de la matrice extra-cellulaire), et des facteurs de mobilité.
L’environnement joue un rôle majeur : stroma réaction et mise en place de l’angiogenèse, prérequis indispensable à la progression tumorale.
Il s’agit du passage dans le courant sanguin ou lymphatique. Il se fait soit au sein de la tumeur dans les petits vaisseaux induits par l’angiogenèse qui sont très perméables, soit en périphérie de la tumeur dans les petits vaisseaux lymphatiques. Le passage des membranes basales vasculaires fait intervenir les processus déjà décrits pour l’invasion locale de la tumeur primitive.
Dans la circulation les cellules cancéreuses ne prolifèrent pas. Elles doivent résister à des agressions mécaniques : pression sanguine, élongation et friction dans les capillaires.
Elles ont tendance à s’agréger pour résister aux agressions (emboles néoplasiques).
De plus, les cellules cancéreuses sont en contact avec les cellules circulantes du système immunitaire (natural killer, lymphocytes T cytotoxiques) qui lysent une grande partie d’entre elles. L’agrégation plaquettaire parfois induite au contact des cellules tumorales pourrait les protéger des agressions mécaniques, les isoler des cellules cytotoxiques et favoriser leur adhésion aux parois vasculaires.
Des agrégats de cellules tumorales se bloquent dans les petits capillaires (figure 9.6).
Les mécanismes impliqués semblent proches de ceux mis en jeu lors de l’extravasation des leucocytes dans les sites inflammatoires :
• contact adhésif entre des motifs de la cellule cancéreuse reconnu par la E-sélectine des cellules endothéliales (roulement) ;
• deuxième contact adhésif entre l’intégrine et son ligand endothélial qui immobilise la cellule. D’autres interactions cellulaires peuvent intervenir ;
• la cellule tumorale provoque la rétraction des cellules endothéliales qui tapissent les vaisseaux, découvrant ainsi les protéines de la membrane basale. Elle se fixe ensuite à la membrane basale par l’intermédiaire de récepteurs. Puis ses enzymes dégradent les protéines et perforent la membrane basale. Des protubérances tentaculaires s’infiltrent dans la zone endommagée et la cellule tumorale s’introduit dans cet orifice tout en continuant de produire des enzymes qui lui permettent d’atteindre les couches de la matrice extra-cellulaire situées sous la couche basale et de pénétrer dans le tissu sous-jacent.
L’invasion est un phénomène actif complexe par lequel les cellules tumorales qui ont quitté la circulation sanguine envahissent les tissus. C’est une étape limitante et peu de cellules y parviennent. Un écosystème favorable est indispensable à leur survie et à leur prolifération :
• nécessité de molécules d’adhésion leur permettant de s’ancrer dans le tissu ;
• nécessité de facteurs de croissance sécrétés par le milieu ;
• nécessité d’échapper à la réponse immunitaire anti-tumorale du nouveau site colonisé ;
• nécessité d’une néovascularisation pour les amas de plus de 3 mm.
À ce stade, la majorité des cellules cancéreuses meurent par apoptose, certaines restent en dormance (pas de prolifération, pas d’apoptose) ou donnent des micrométastases indétectables (équilibre entre prolifération et apoptose). Seule une minorité de cellules donnera naissance à des métastases actives détectables.
Comme au sein de la tumeur primitive, la stroma réaction et l’angiogénèse vont pouvoir jouer leur rôle. Des cellules tumorales pourront à leur tour s’échapper et former ailleurs de nouvelles métastases (figure 9.7).
La fréquence des métastases varie selon les individus et le type de prolifération. Il n’y a jamais de métastases de gliomes (système nerveux central), les métastases des carcinomes cutanés sont rares. À l’inverse, les mélanomes et certains carcinomes bronchiques sont fréquemment l’objet d’une dissémination métastatique.
Leur délai d’apparition est également très variable. Différents mécanismes sont proposés pour expliquer ces différences.
La capacité d’une tumeur à faire des métastases est un caractère secondairement acquis par mutation et/ou réarrangement chromosomique. Les gènes impliqués sont encore mal connus.
• Exemple de gène suppresseur des métastases : nm23 dont le taux d’ARN est réduit d’un facteur 10 dans les lignées de mélanome induisant des métastases chez la souris par rapport aux mêmes lignées qui n’entraînent pas de métastases.
• Exemple de gène inducteur de métastases : H-ras semble souvent impliqué.
Les défenses cellulaires anti tumorales sont assurées essentiellement par :
• les lymphocytes T cytotoxiques CD8 : ils interviennent en réponse à des Ag de surface reconnus comme étrangère (Ag spécifiques de certaines tumeurs, Ag viraux, molécules du CMH modifiées) présentés en association avec les molécules de classe I du CMH (complexe majeur d’histocompatibilité) ;
• les lymphocytes natural killer (NK) responsables d’une cytotoxicité directe non restreinte par le CMH.
Les mécanismes d’échappement de la réponse immunitaire anti-tumorale sont nombreux, dont par exemple :
La migration de cellules tumorales à distance du foyer primitif peut se faire par plusieurs voies, dont l’importance relative dépend beaucoup du type tumoral. Les principales voies sont lymphatiques et sanguines, mais il peut également exister une diffusion par des cavités naturelles de l’organisme (séreuses, bronches, voies urinaires, canaux biliaires, canal rachidien…).
C’est la voie la plus fréquente de dissémination des carcinomes, mais peut se rencontrer également au cours des sarcomes (figure 9.8).
La métastase ganglionnaire se fait selon le drainage ganglionnaire normal de la région atteinte. Exemple : ganglions axillaires pour un carcinome mammaire du quadrant supéro-externe, ou ganglions inguinaux pour un mélanome de la face interne de la cuisse.
Le premier relais ganglionnaire du drainage lymphatique est appelé ganglion sentinelle. Depuis quelques années, des protocoles de traitement de certaines tumeurs consistent à prélever le ganglion sentinelle, puis à ne faire de curage ganglionnaire que si celui-ci est envahi par la tumeur (cf. complément en ligne En savoir plus 9.2 : « Métastase ganglionnaire »).
En savoir plus 9.2
Métastase ganglionnaire
L’arrivée des cellules cancéreuses dans un ganglion de drainage peut donner suite à plusieurs scénarios :
• induction d’une réaction inflammatoire et destruction des cellules cancéreuses. La migration dans les ganglions de drainage d’antigènes ou de débris tumoraux peut induire dans le ganglion plusieurs réactions inflammatoires : hyperplasie lymphoïde folliculaire (cellules B) ou paracorticale (cellules T), prolifération histiocytaire dans les sinus (histiocytose sinusale), réaction tuberculoïde. La présence d’un gros ganglion lymphatique dans la zone de drainage d’un cancer n’est donc pas synonyme d’une métastase ganglionnaire ;
• elles peuvent rester latentes (simple survie sans réaction) ;
• passage des cellules cancéreuses vers les ganglions suivants ;
• prolifération des cellules cancéreuses qui envahissent le ganglion en s’y multipliant.
La poursuite, de proche en proche, de l’invasion des lymphatiques aboutit au déversement des cellules cancéreuses dans la circulation générale par le canal thoracique. Une étape intermédiaire fréquente est la présence d’un ganglion sus-claviculaire gauche (appelé ganglion de Troisier), dernier relais avant la circulation générale, et qui signe ainsi une diffusion prochaine à tout l’organisme du processus cancéreux.
Les cancers les plus lymphophiles sont les carcinomes, en particulier les cancers du sein, de la thyroïde, du col utérin, et les mélanomes.
La lymphangite carcinomateuse est une dissémination abondante et diffuse de cellules malignes dans les capillaires lymphatiques d’un organe entier (souvent le poumon). On l’appelle carcinomateuse car ce mode d’extension concerne essentiellement les carcinomes en particulier mammaires.
Les cellules cancéreuses, soit après passage par la voie lymphatique, soit directement par effraction de la paroi vasculaire sanguine, pénètrent les petits vaisseaux sanguins et sont entraînées par la circulation vers les organes qui filtrent le plus gros volume de sang.
Cette effraction est d’autant plus facile que les vaisseaux du stroma ont une paroi mince et qu’il existe, dans certaines tumeurs (sarcomes), des lacunes vasculaires bordées de cellules tumorales. La diffusion par voie sanguine est commune aux sarcomes, aux carcinomes et aux mélanomes.
La localisation des métastases hématogènes dépend du mode de drainage veineux de l’organe atteint par la tumeur, et du premier filtre capillaire à travers lequel passe le sang en aval. On distingue schématiquement 3 types de migration :
1. type cave : les cellules drainées par le système cave supérieur (sein) ou inférieur (rein, utérus, veines sus-hépatiques) atteignent en priorité le poumon, puis tout l’organisme ;
2. type porte : les cellules issues d’un cancer digestif (côlon, estomac) sont drainées par le système porte vers le foie où elles engendrent des métastases hépatiques, pouvant donner secondairement des métastases pulmonaires ou dans le reste de l’organisme ;
3. type pulmonaire : les cellules circulantes à partir d’un cancer broncho-pulmonaire sont déversées dans les veines pulmonaires, puis le cœur gauche et la grande circulation, donnant des métastases ubiquitaires (os, foie, encéphale, reins, surrénales, etc.).
Toutefois la localisation des métastases dépend également d’autres facteurs que le flux sanguin. En effet, certains organes, tels les os et les ovaires, qui ne sont pas des « filtres sur la circulation » comme le poumon et le foie sont pourtant souvent siège de métastases. À l’inverse certains organes très vascularisés, tels le muscle strié, la rate et la thyroïde, ne sont presque jamais sièges de métastases.
Parmi les autres facteurs impliqués, notons l’importance de l’adressage (homing) dû à l’expression par les cellules tumorales de molécules d’adhérence qui leur permettent de se localiser spécifiquement dans certains tissus. Il est également probable que le micro-environnement spécifique à chaque tissu est plus ou moins favorable à la croissance des cellules tumorales.
Ces affinités reposent au moins en partie sur les interactions de chimiokines et de leurs récepteurs.
L’existence de masses tumorales multiples dans le poumon ou le foie est un argument macroscopique pour suspecter le diagnostic de métastases, alors qu’une masse tumorale unique évoque plutôt une tumeur primitive. La probabilité de l’un ou l’autre diagnostic (métastase versus tumeur primitive) repose alors sur des notions d’incidence respective de ces tumeurs selon le siège, sur des données cliniques et des données d’imagerie (ex : chez un adulte, les tumeurs primitives osseuses sont moins fréquentes que les métastases osseuses). Le plus souvent, c’est finalement l’examen anatomopathologique qui détermine la nature primitive ou secondaire d’une tumeur (tableau 9.1).
Tableau 9.1 Localisation préférentielle des métastases en fonction des tumeurs primitives
Tumeur primitive | Fréquence métastatique |
---|---|
Cancer broncho-pulmonaire | Foie, encéphale, os, surrénales, peau |
Cancer du sein | Os, poumon, plèvre, foie, péritoine |
Côlon, estomac | Foie, péritoine |
Prostate | Os |
Thyroïde | Os, poumons |
Rein | Os, poumons |
• Atteinte par la voie portale (cancers gastro-intestinaux et pancréatiques) ou par l’artère hépatique (organes génito-urinaires, poumons, sein), ainsi que mélanomes et sarcomes de tous sièges.
• Aspect : le plus souvent nodules tumoraux multiples, blanchâtres, à centre nécrosé (les nodules sous-capsulaires apparaîtront ombiliqués), entraînant une hépatomégalie. À un stade terminal, le foie peut être entièrement tumoral (figure 9.9).
• À partir le plus souvent du sein, du tube digestif, des bronches, du rein, de la thyroïde, de sarcomes de tous sièges…
• Aspect : le plus souvent, multiples nodules dans les 2 poumons : « lâcher de ballons » (figure 9.10). Plus rarement, masse unique, intraparenchymateuse pulmonaire ou péri- et intrabronchique, simulant un cancer broncho-pulmonaire primitif.
• Les métastases osseuses se développent à partir de l’envahissement des capillaires sanguins de la moelle hématopoïétique. Les tumeurs primitives le plus souvent en cause sont : sein, poumon-bronche, prostate, rein, thyroïde ; chez le jeune enfant : fréquence des métastases osseuses de neuroblastome.
• Aspect : peuvent s’observer partout dans le squelette, souvent le rachis, et sont souvent multiples. Les métastases peuvent détruire l’os (figure 9.11), et être à l’origine d’une fracture osseuse pathologique, c’est-à-dire survenue spontanément ou lors d’un traumatisme minime. Les métastases osseuses sont le plus souvent ostéolytiques, mais peuvent aussi être ostéocondensantes ou mixtes.
Il peut se produire lorsqu’une tumeur maligne s’étend jusqu’à cette cavité comme les cavités pleurale ou péritonéale, les espaces méningés, les voies urinaires, les canaux biliaires ou une cavité articulaire. Exemples : extension péritonéale d’un carcinome ovarien, extension ovarienne d’un adénocarcinome gastrique : tumeur de Krükenberg.
Cet essaimage peut également se faire par la rupture de la tumeur dans une cavité (ex : rupture d’un sarcome digestif dans la cavité péritonéale).
Par rapport à la tumeur primitive la morphologie peut être :
Une métastase peut survenir au cours de la surveillance évolutive d’une tumeur connue.
À l’inverse, la découverte d’une ou plusieurs métastases peut être révélatrice d’un cancer. Dans ce cas, la localisation et l’analyse histologique peuvent orienter la recherche de la tumeur primitive, dont l’identification est souvent utile pour les choix thérapeutiques. L’immunohistochimie est parfois également utile.
• une adénopathie cervicale peut révéler, entre autres tumeurs, un lymphome ou une métastase d’un carcinome épidermoïde de l’oropharynx ;
• l’expression de TTF-1 par un adénocarcinome pulmonaire est en faveur d’une origine primitive plutôt que d’une métastase, ou l’expression de la PSA au sein d’une métastase osseuse d’un adénocarcinome est en faveur d’une origine prostatique.
L’histoire naturelle d’un cancer peut être schématiquement divisée en trois phases : précancéreuse, extension loco-régionale et métastatique.
Les lésions précancéreuses sont des anomalies histopathologiques qui peuvent aboutir à l’apparition d’un cancer. Certaines de ces lésions sont appelées dysplasies. Les dysplasies peuvent être classées morphologiquement d’un faible grade jusqu’à un grade élevé et à l’extrême un carcinome in situ.
Les lésions dysplasiques peuvent involuer spontanément ou aboutir à un cancer. Leur évolution sur plusieurs années (en général) permet, au niveau du col utérin et du côlon, le dépistage et la prévention du cancer par traitement de ces lésions dysplasiques.
L’extension loco-régionale est une diffusion des cellules tumorales dans les tissus avoisinants. Pour les tumeurs épithéliales, elle consiste initialement en un dépassement de la lame basale. Le degré d’extension est un marqueur pronostique (= « T » du stade TMM).
L’extension loco-régionale est liée notamment à une dérégulation de l’expression de molécules d’adhérence et de protéase active sur la matrice extra-cellulaire.
Les deux principales voies de dissémination métastatique sont l’extension lymphatique et hématogène, mais il existe de nombreuses autres voies de dissémination (séreuse, voies urinaires, voies biliaires, liquide céphalo-rachidien…). Chaque type de tumeur peut avoir des voies de dissémination préférentielles, ce qui influe sur les modalités de traitement.
Entraînement 7 QCM (chapitres 7, 8 et 9)
Un sarcome peut avoir le phénotype d’un ou de plusieurs des types tissulaires suivants : lequel ou lesquels ?
A. Le diagnostic anatomopathologique est habituellement effectué sur coupes de tissus et colorations par l’hématéine- éosine-safran
B. La nature d’une tumeur et son phénotype peuvent être précisés par les études immunohistochimiques
C. Des cibles thérapeutiques peuvent être détectées par les études immunohistochimiques
D. Des amplifications géniques peuvent être détectées sur coupes de tissus par hybridation chromosomique in situ
E. L’examen histopathologique est toujours précédé par un examen cytologique après ponction
L’histopronostic du carcinome mammaire (classification de Scarff, Bloom et Richardson) fait entrer en ligne de compte :
Quel est le préfixe utilisé pour définir la classification TNM des pièces opératoires étudiées après traitement néo-adjuvant ?
Le grade histopronostique de Scarff, Bloom et Richardson (prenant en compte l’architecture de la tumeur, les atypies nucléaires et l’activité mitotique des cellules tumorales) est réalisé par le pathologiste lors de l’étude anatomo-pathologique :
Parmi les caractéristiques suivantes, laquelle (lesquelles) est (sont) utilisée(s) pour la classification TNM d’une tumeur ?
Parmi les critères suivants, quel est celui qui définit le carcinome in situ (intra-épithélial) ?